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5 juillet 2011 2 05 /07 /juillet /2011 05:44

La Nouvelle Zélande présente les coûts de production animale les plus bas du monde, en misant sur le pâturage. Une organisation du parcellaire remarquable permet de pâturer beaucoup et longtemps.

Postée à l’autre bout du monde, la Nouvelle Zélande est un paradis pour la production laitière. Ses 11 000 éleveurs produisent plus de 16 millions de tonnes de lait, soit les deux tiers de la production française. Cela représente seulement 2 % de la production mondiale mais les exportations laitières néo-zélandaises pèsent près de 40 % des échanges mondiaux (contre 27 % pour l’Europe).

Ce pays peu peuplé (3,8 millions d’habitants) exporte plus de 95 % de sa production sous forme de poudre grasse ou écrémée, de beurre, de fromage et de caséines. Son dynamisme épate la planète laitière. Ce pays a triplé sa production laitière en trente ans, l’a doublée en 20 ans, gagné 50 % au cours des 10 dernières années et annonce + 30 % dans les 10 ans qui viennent !

Cette formidable croissance et conquête des marchés mondiaux a été permise par un prix du lait, parmi les plus bas des pays développés, proche de 200 € les 1 000 litres sur les 10 dernières années.

Pour vivre avec un prix du lait aussi faible, les néozélandais misent sur une très forte efficience du travail (600 000 litres de lait par UTH) et des coûts de production très bas, les plus faibles du Monde occidental.

Ces objectifs ont pu être atteints grâce au pâturage. La production laitière est saisonnière, calée sur la croissance de l’herbe avec des vêlages groupés, positionnés en fin d’hiver Le pâturage représente ainsi de l’ordre de 90 % de la ration et les vaches pâturent quasiment toute l’année, à l’exception des journées de fortes pluies.

La production laitière par vache est faible avec seulement 3 900 litres et des lactations de l’ordre de 250 jours. Par contre, les chargements sont très élevés et atteignent désormais 2,8 vaches/ha, soit près de 11 000 litres à 4 % sur la surface fourragère dédiée aux vaches laitières !

 

Un parcellaire groupé autour de la salle de traite

Ce recours massif à l’herbe pâturée est permis par des conditions climatiques favorables à la croissance de l’herbe, des sols portants permettant de pâturer toute l’année et un parcellaire très bien organisé. En effet, les néozélandais ont su tirer profit de la structure du foncier.

La Nouvelle Zélande est un pays peu peuplé et n’a pas le même réseau routier, ni le mîtage urbain que l’on connaît en Europe. Par ailleurs, le mode de transmission consiste à céder l’exploitation dans sa globalité et préserve ainsi la structure parcellaire existante.

Dans ces conditions, le parcellaire est groupé autour de la salle de traite, qui est souvent l’unique équipement de l’exploitation laitière. Si le parcellaire est séparé par une route, le recours à un boviduc est la règle. A titre d’exemple, un tunnel de 12 mètres de long, 3,5 mètres de largeur et 2,2 mètres de hauteur coûte environ 30 000 €.

 

Des chemins larges favorisant la circulation des vaches

Ce parcellaire est irrigué par des larges chemins, favorisant le flux des vaches et permettant un retour au pâturage, sitôt la traite réalisée.

On distingue souvent des chemins principaux permettant le passage d’engins lourds et des chemins secondaires, seulement réservés aux animaux. Les angles des chemins sont arrondis afin de ne pas ralentir le flux des vaches. La largeur de ces chemins dépend de la taille des troupeaux, mais elle est de 5 mètres pour les troupeaux de moins de 120 vaches et de 5,5 m entre 120 et 250 vaches. Cette largeur est croissante à l’approche de la salle de traite. Une marche de 15 cm de hauteur est recommandée à la jonction entre le chemin et l’aire d’attente, afin de limiter le transfert de graviers du chemin sur l’aire bétonnée.

Après un décaissement de la terre végétale sur 15 cm, une couche de remblais et de pierres est appliquée, puis compactée à l’aide d’un rouleau compresseur.

Une couverture de graviers 75/100 mm est ensuite apposée, puis fortement compactée avec un rouleau compresseur. Il s’agit d’éviter les éléments abrasifs, favorisant les boiteries. Une couche de sable peut aussi être rajoutée.

Ces chemins sont convexes avec une pente de 3 à 5 % et bordés de fosses ou rigoles, de façon à favoriser l’évacuation de l’eau de pluie. Les chemins secondaires relèvent des mêmes principes mais sont appliqués à même le sol, afin de réduire les coûts. Le coût de ces chemins est compris entre 10 et 15 € par mètre linéaire.

Ces chemins sont régulièrement entretenus et refaits tous les 10-15 ans. Compte tenu de l’organisation du parcellaire, la densité de chemins est souvent comprise entre 20 et 30 m par hectare de prairie. Les accès aux parcelles sont au nombre de deux, afin de limiter les dégradations des parcelles en conditions humides.

 

Des parcelles d’une journée au printemps

La taille des parcelles est calée sur un temps de séjour au printemps d’une journée, voire d’une demi-journée pour les grands troupeaux.

Comme la rotation est de 20 jours au printemps, il y a de l’ordre de 20 à 30 parcelles, lorsque l’on intègre les parcelles fauchées après les pâturages de fin d’hiver et les parcelles réservées aux veaux.

Le temps de séjour augmente en été (2jours), automne (3 jours) et hiver (4-5 jours) au fur et à mesure de l’allongement des rotations et de l’évolution des besoins des vaches.

Dans ce cas, un fil avant est utilisé afin de fractionner les repas et un fil arrière peut être utilisé, en conditions humides de pâturage. Les parcelles sont de forme rectangulaire.

Il est recommandé que la longueur de la parcelle ne soit pas plus de 4 fois supérieure à la largeur. Lorsqu’il y a irrigation (comme dans le Canterbury – Ile du Sud), le parcellaire est organisé en étoile, autour des pivots.

De façon générale, l’entrée de la parcelle la plus éloignée est située au maximum à un kilomètre du bloc traite, ce qui fait une distance moyenne de l’ordre de 500 mètres.

 

Des clôtures de grande qualité et de l’eau partout

Les clôtures principales, comme celles bordant les chemins et le périmètre de l’exploitation, sont fixes avec des poteaux en bois.

Des soins particuliers sont appliqués aux piquets d’angle, enfoncés à une profondeur de l’ordre de 80 cm. Il y a 3 ou 4 rangées de fil électrifiées. Le fil est en acier, lisse de 2,5 mm de diamètre et tendu à l’aide de tendeurs.

Pour les clôtures  semi-permanentes, les piquets peuvent être en bois ou en fibre et les fils sont plus fins (1,6 mm de diamètre). Les accès  sont bouchés par des barrières ou un fil. On retrouve en permanence le souci du détail (comme un crochet pour poser le fil) dans la mise en œuvre de ces clôtures afin de ne pas perdre de temps lors des mouvements de troupeaux.

Cette parfaite organisation du parcellaire et des chemins permet aux vaches de regagner la parcelle sitôt la traite terminée.

L’éleveur n’a plus qu’à fermer la barrière, ce qui représente un gain appréciable de temps. Afin de limiter le travail, le réseau d’eau est fixe. Il est enterré (60 cm), de façon à être protégé des engins et du  gel. Le diamètre des tuyaux du réseau principal est de 40 mm et celui des tuyaux desservant les abreuvoirs de 32 mm. Il est recommandé d’avoir un abreuvoir par paddock.

En effet, les abreuvoirs disposés en-dessous des clôtures ne permettent d’utiliser qu’un tiers de la circonférence de chaque côté de la clôture. Cela favorise les vaches dominantes et tend à repousser les génisses.

Cette description illustre les modalités d’organisation des parcellaires actuellement mises en œuvre dans le contexte néozélandais, avec un foncier regroupé et un système herbager, sans rotations de prairies et cultures. Elle peut donner quelques idées pour optimiser l’organisation de nos parcellaires, afin de pâturer plus.


Voici deux exemples


Dans le sud-ouest de l'Angleterre

Alors que la filière laitière anglaise connaît des difficultés, les éleveurs herbagers du réseau d’échange «pasture to profit» (pâturer pour gagner) tirent leur épingle du jeu en s’inspirant des techniques de production néo-zélandaises.

En premier lieu, ils font le choix d’utiliser au maximum le facteur de production le moins cher, c’est-à-dire pour la production laitière les associations RGA et Trèfle blanc pâturées. Ils mettent ainsi en valeur leur principale richesse, une incroyable accessibilité pour le pâturage. Les charges de structure sont limitées. Les investissements doivent être rapidement rentables : une salle de traite de conception néo-zélandaise au milieu des pâtures et des aménagements pour faciliter le pâturage (chemins de qualité, clôtures conçues pour durer et abreuvoirs géants…).

Les exploitants ont très peu de bâtiment et de matériel en propriété. Ils sous-traitent les travaux des cultures à l’entreprise. Les vêlages sont groupés au début du printemps pour caler la production de lait sur la pousse de l’herbe et aussi pour tenir compte de leur principal facteur limitant, le manque de main d’œuvre disponible.

Enfin, et ce n’est pas le moindre de leurs objectifs, ils aspirent tous à une vie familiale et sociale épanouie avec un «job» qu’ils aiment et qu’ils n’envisagent que rentable.

 

Herbe pâturée

Les 5 élevages herbagers du Sud-Ouest de l’Angleterre bénéficient de conditions pédoclimatiques très favorables à la pousse de l’herbe, avec une bonne profondeur de sols et des pluies abondantes et bien réparties sur l’année. Le parcellaire issu des propriétés de la noblesse britannique permet une accessibilité importante, de 80 à 200 hectares parfaitement aménagés pour le pâturage. Les éleveurs veillent d’ailleurs à adapter parfaitement la taille troupeau au potentiel de pousse d’herbe de cette aire accessible.

La quantité de lait produite par l’exploitation est donc directement proportionnelle au potentiel et au mode de conduite des pâtures des vaches laitières. La surface pâturable n’est que de 24 ares par vache en système conventionnel, elle est doublée en système biologique. En complément du pâturage, les vaches reçoivent peu de fourrages stockés, essentiellement de l’ensilage d’herbe et du concentré. 

Comme il n’existe pas en Angleterre de recherche publique autour de la production laitière, les éleveurs se fédèrent autour de consultants privés pour échanger, progresser et disposer d’outils de suivi technique, en particulier autour de la conduite de l’herbe. A partir de mesures hebdomadaires de pousse de l’herbe et d’un logiciel de leur conception, ils connaissent parfaitement le stock d’herbe en place et à venir, ce qui facilite leurs prises de décisions au cours de la saison de pâturage. Ils n’hésitent pas à utiliser le «fil avant», en le déplaçant plusieurs fois dans la journée, à faucher l’herbe juste avant l’entrée des vaches… pour conserver une herbe pâturée de qualité toute l’année.

 

Des petites vaches fertiles

Les vêlages sont très groupés en sortie hiver pour profiter de la ressource fourragère. Les vêlages débutent entre le 6 février à la mi-mars, en fonction des zones, mais surtout ils sont un peu plus tardifs en production biologique. Les éleveurs anglais utilisent des critères de suivi de la fertilité inhabituels chez nous.

Par exemple, le « mid point calving » (nombre de jours pour que la moitié du troupeau ait vêlé) est en moyenne de 12 jours (de 9 à 17 jours suivant les élevages).

Les troupeaux comptent de 300 à 500 vaches, pourtant 70 à 100 % des vêlages ont lieu sur 6 semaines. Pour parvenir à ce niveau de résultats, les éleveurs ont recours à la génétique néo-zélandaise et au «métissage». Ils pratiquent des «croisements circulaires» : leurs plans d’accouplement utilisent 3 races fertiles et rustiques qu’ils choisissent parmi la Holstein néozélandaise, les rouges scandinaves, la montbéliarde, la jersiaise...

 

Une conduite groupée

L’insémina ion artificielle est utilisée sur les meilleures vaches pour assurer le renouvellement, les autres saillies sont assurées par 2 bandes de taureaux, en alternance 1 jour sur 2 pendant la période de reproduction. Les niveaux de production sont compris entre 3 100 et 6 250 litres par vache et par an, ils dépendent  de la durée de la mono-traite.

Toutefois, vu le niveau de chargement, ils produisent environ 13 000 litres de lait par hectare de surface fourragère en système conventionnel et de 5 000 à 7 000 litres en système biologique. Cet exceptionnel effort de groupage porte ses fruits sur l’organisation du travail. Car, même si des pointes de travail sont indéniables autour de la surveillance des vêlages et de l’élevage des veaux, les temps de travaux sont contenus : de 9 à 30 heures par vache et par an.

Cette conduite groupée permet de bénéficier durant toute la saison de vaches dans les mêmes conditions physiologiques, de simplifier l’élevage des génisses de renouvellement, d’adopter des conduites en bande, de délocaliser les vaches taries sur des zones portantes en hiver et d’arrêter la traite pour quelques semaines de tarissement quand les conditions climatiques sont les plus difficiles.

Les salles de traite de conception néo-zélandaise, la mono-traite sur tout ou partie de l’année, la simplification de l’hygiène de traite, des aires d’attente circulaires, la contention adaptée, permettent également de gagner du temps.

Au final, les objectifs de rentabilité sont atteints. La production laitière leur permet d’avoir des revenus confortables et d’investir en dehors de l’agriculture. Le «comparable farm profit», l’équivalent de notre Excédent Brut d’Exploitation est de l’ordre de 110 € pour 1 000 litres en système conventionnel et le double en système bio, du fait de la plus value sur le lait et la réduction drastique des charges opérationnelles.

 

Un autre exemple en France en Elevage Ovin

Le GAEC de FARGUES dans le Lot est passé à un système "tout pâturage" sur le modèle néo-zélandais

 

Fiche du GAEC de FARGUES

♦ Exploitation située à Cabrerets dans le Lot, à 240 mètres d’altitude. Situation de causse avec sols argilo-calcaires caillouteux et superficiels. Conditions très séchantes en été (pluviométrie annuelle de 650 à 700 mm).
♦ Gaec de trois UTH.
♦ Production : ovin viande et cheptel de 1 500 brebis mères.
♦ Débouché : agneau du Quercy et sélection des agnelles de reproduction.
♦ SAU de 160 hectares de prairies artificielles.

 

Stockage de l’alimentation des animaux, entretien des bâtiments d’élevage, matériels pour ensiler, conditionner la paille et le foin, gérer les effluents d’élevage… Autant de postes onéreux et impactant fortement les coûts de production pour l’exploitation ovine du Gaec Fargues.

Pour alléger ces postes, les éleveurs ont entièrement repensé leur système et sont passés d’une conduite conventionnelle à une gestion tournée quasi exclusivement vers le pâturage, avec des animaux en extérieur toute l’année. Ce bouleversement a reposé sur une modification de l’implantation des prairies artificielles, l’introduction des légumineuses et un système de clôtures innovant qui offre une grande réactivité.

Pour André Delpech, comme pour d’autres éleveurs ovins, le constat était clair et semblait sans appel : les coûts de production de l’atelier ovin se révélaient supérieurs au prix de vente des animaux… Présenté comme une fatalité par nombre de ses interlocuteurs, l’éleveur ne s’est pourtant pas résolu à cet état de fait et a cherché activement des solutions. Le déclic proviendra d’un stage de trois mois et demi effectué en Nouvelle-Zélande en 1998, et qui convaincra A. Delpech que des alternatives sont possibles.

« Je m’étais rendu là-bas pour voir comment les éleveurs géraient le troupeau en hiver, période à laquelle les animaux vivent sur les stocks fourragers chez les éleveurs français. J’avais en effet identifié dans ma conduite d’alors, plusieurs postes gourmands en charges dans ma comptabilité, notamment les chaînes de mécanisation pour réaliser le stock fourrager (ensilage, foins), ainsi que toutes les dépenses liées à la tenue des animaux en bâtiment : paille, gestion des effluents… Pour parvenir à réduire mes coûts de production, il fallait que je réussisse à changer le mode de conduite du troupeau. »

Le système Néo-zélandais s’appuie exclusivement sur le pâturage, avec des animaux dehors toute l’année, même pour les agnelages. Pas de stock fourrager coûteux à réaliser, les animaux se nourrissent eux-mêmes au pré. La clef du système repose sur un découpage adéquat des parcelles d’herbe qui permet d’obtenir un chargement instantané maximum.

La méthode « fil avant et fil arrière* » qui y est appliquée consiste en outre à faire progresser les animaux dans la pâture de manière régulière, pour éviter un surpâturage et un piétinement excessif qui abîmeraient la prairie.

« Les animaux restent un à deux jours dans leur « cellule de pâturage », puis passent à une autre. Cette méthode est issue d’études réalisées au siècle dernier par un chercheur et ingénieur agronome français, André Voisin. Celui-ci avait constaté que la pousse de l’herbe était défavorisée dès lors que les animaux la coupaient à plusieurs reprises, et que la productivité était au contraire améliorée par un pâturage bref, qui laissait ensuite à l’herbe le temps de repousser »  

Autre point d’importance sur lequel s’appuie le système néo-zélandais : l’introduction de légumineuses dans les prairies (trèfle blanc essentiellement), source de protéines indispensables pour s’affranchir des tourteaux de soja. Fort de toutes ces données, A. Delpech, de retour sur son exploitation, étudie et expérimente la faisabilité de ces méthodes et les moyens de les transposer chez lui.

 

Trouver un mélange d’espèces adapté aux causses séchant du Quercy

Pour parvenir à appliquer chez lui le système néo-zélandais, l’éleveur doit commencer par modifier son assolement qui était auparavant constitué de 20 hectares d’orge autoconsommée et de 140 hectares de prairies destinées au stock fourrager, pour le passer entièrement en prairies à pâturer. Contrainte de taille liée au terroir, les sols de Causse sur lesquels est sise l’exploitation sont superficiels (20 à 30 centimètres), très caillouteux, filtrants et très séchant, ce qui ne permet pas à une prairie naturelle de s’installer et complexifie le choix des espèces en prairie artificielle.

A. Delpech initie alors une batterie d’essais pour trouver quelles variétés de RGA et trèfle blanc sont les mieux adaptées à sa situation sur le modèle néo-zélandais.

« Mes critères de choix ont reposé sur des espèces rustiques capables de résister à la sécheresse en été, afin de ne pas être obligé de ressemer tous les ans. Celles-ci doivent en outre montrer leur aptitude à produire suffisamment de biomasse en hiver pour la pâture. Et contrairement aux idées reçues, c’est le ray-grass anglais qui est sorti du lot face au ray-grass italien, fétuque et dactyle. »

L’éleveur observe que certaines variétés de ray-grass anglais se mettent « en dormance » lorsque les conditions estivales sont trop sèches, mais ne meurent pas. Et, question productivité hivernale, le ray-grass anglais se montre aussi performant que le ray-grass italien.

Côté légumineuses, l’éleveur utilise le trèfle blanc, sur le modèle néozélandais, ainsi que le lotier dans les zones les plus sèches.

« Le trèfle blanc participe à une bonne croissance des agneaux, et me permet de réduire la fertilisation azotée (50 à 60 unités d’azote apportées en deux fois). Il s’adapte en outre très bien aux conditions sèches. Dans les parcelles les plus arides, j’utilise toutefois le lotier, qui est encore plus résistant, ainsi que du dactyle et de la fétuque en plus du ray-grass anglais, pour les mêmes raisons. Le mélange ray-grass anglais/trèfle blanc se montre très appètent pour les animaux et particulièrement adapté pour la période de lactation en raison notamment de sa richesse en protéines. »

L’éleveur se penche de près sur les mélanges multi-espèces qu’il teste activement dans ses essais.

« Les Suisses étudient des mélanges à plus de dix espèces. Ce procédé permet d’avoir une bonne couverture partout car les nombreuses espèces du mélange tamponnent l’hétérogénéité parcellaire. Il offre aussi une complémentarité de production toute l’année ainsi que dans le temps, avec d’abord une prédominance du RGA et de la fétuque, puis du dactyle. Mes prairies ont une durée de vie actuelle de 5 à 6 ans, mais j’espère ainsi les faire durer davantage. »

A. Delpech cherche à complexifier ses mélanges pour obtenir une couverture de sol homogène malgré les hétérogénéités de parcelle et obtenir une valeur alimentaire plus stable. Des essais sont en cours pour introduire de la chicorée, une espèce qui semble prometteuse en raison de sa productivité importante en hiver et de sa bonne résistance à la sécheresse en été, le tout combiné à une valeur alimentaire intéressante.

Dans les zones les plus difficiles, il implante actuellement un mélange de 25 kg de RGA, 15 kg de fétuque, 10 kg de dactyle, 3 kg de trèfle blanc et 4 à 5 kg de lotier. A. Delpech utilise essentiellement la variété de RGA Aubisque mais continue à tester de nouvelles variétés. Une variété marocaine semble notamment se montrer prometteuse. L’éleveur teste en effet des variétés utilisées dans le sud (Espagne notamment), pour répondre à ses critères de résistance à la sécheresse estivale. 

 

Un semis en deux passages

A. Delpech sème ses prairies en deux étapes, d’abord les graminées avec un semoir de semis direct hollandais, le Vredo, qui permet de semer avec un écartement de 7,5 cm, ou bien avec son semoir à céréales en recroisant le semis à la perpendiculaire, puis dans les deux cas, il sème ensuite le trèfle blanc à la volée.

« Pour les graminées, l’idéal à mon avis serait d’utiliser un semoir à gazon qui permet un écartement de 5 cm, mais qui n’est malheureusement pas compatible avec mes sols caillouteux. Je n’utilise en outre le semoir de semis direct que pour 4 à 5 hectares de ma surface, mais beaucoup plus pour des opérations de sur-semis. Je ne réserve en effet son usage qu’aux zones les moins caillouteuses car j’observe sinon des problèmes de levées, que je n’ai pas avec une gestion plus conventionnelle «cultivateur-vibroculteur-casseuse de pierres-rouleau-semoir à céréales-rouleau». Avec le Vredo, j’interviens directement après destruction chimique de la prairie, pour un semis d’automne ou bien de printemps. Dans le cas du sur-semis, je cherche à étoffer des prairies qui se sont éclaircies après l’été notamment. J’interviens alors sans désherbage préalable. Pour augmenter les chances de réussite de ces semis en direct, je sélectionne dans mes essais des variétés de RGA qui montrent une bonne vigueur à la levée, en plus de mes autres critères. »

 Selon l’éleveur, le semoir à céréales se montre peu adapté au semis de prairies, car le large écartement entre rangs  génère par la suite des problèmes de concurrence avec les adventices.

« C’est pourquoi je sème en croisé avec ce dernier, pour bénéficier d’une bonne couverture du sol, qui offre également une meilleure résistance au pâturage et limite l’impact du piétinement. »

Il a opté pour un semis à la volée du trèfle avec un semoir centrifuge utilisé normalement pour épandre l’anti-limace, et placé sur le quad. Ce mode de semis lui permet de limiter la concurrence avec la graminée sur la même ligne de semis, et aussi de semer en surface ces graines de très petite taille. Le bon contact avec la terre est ensuite permis par un passage de rouleau.

« Je vais tester prochainement un semoir autrichien distribué par Agram. Le semoir centrifuge se montre en effet trop peu précis dans son réglage d’ouverture pour semer les graines fines et légères de graminées. J’espère parvenir à semer ensemble à la volée les graminées et les légumineuses grâce à ce semoir. J’espère ainsi obtenir une meilleure couverture du sol qu’avec le semis en ligne. Une meilleure répartition des graines offrira à mon avis une meilleure résistance à la sécheresse et un meilleur accès des plantes à la lumière. Une bonne couverture renforce en outre la résistance au piétinement.»

 Le pâturage est à nouveau possible de 60 à 80 jours après le semis. Toutefois, lors des opérations de sur-semis,  l’éleveur réduit cette durée de pousse en raison de la concurrence entre les jeunes plantules et la prairie installée.

« Je juge la période de réintroduction des animaux à l’œil selon l’état de la prairie. Je fais alors légèrement pâturer pour ne rien abîmer. Cette méthode s’avère précise et délicate ».

 

Des résultats probants

La mise en place de ce nouveau système fondé sur le pâturage a permis au Gaec d’élever le nombre d’animaux du cheptel de 750 à 1 500 brebis mères (quand en parallèle la SAU n’augmentait que de 10 hectares), et d’intégrer l’épouse de A. Delpech au Gaec, en plus d’André et de son frère Francis.

« Pour une surface quasi identique, nous pouvons nourrir le double de brebis car nous avons optimisé notre chargement et la productivité de la prairie grâce à cette méthode de pâturage. Nous avons même pu diminuer nos intrants, avec notamment une réduction d’un tiers des engrais. Les trois quarts du troupeau restent dehors, et l’augmentation du cheptel n’a ainsi pas nécessité d’agrandir les bâtiments. Ne sont mis à l’intérieur que les agnelles achetées en janvier et qui ne sont jamais sorties, ainsi que les agneaux mâles destinés à la vente pour achever plus rapidement leur croissance lors des périodes où l’herbe est moins productive. Au printemps, ce sont mille brebis qui agnellent dehors, une gestion qui aurait été impossible pour un tel nombre à l’intérieur.Le coût de la ration alimentaire est quant à lui quatre fois moins élevé au pâturage qu’en bergerie. Et la quantité de fourrage stocké a été divisée par deux »,

Autre constat, la portance des sols qui s’est améliorée avec l’introduction d’espèces sélectionnées pour la pâture, le RGA et le trèfle blanc, mais aussi par le mode de conduite du pâturage. Le sur-piétinement néfaste est en effet évité, notamment lors des journées humides durant lesquelles l’éleveur change les animaux de cellule tous les jours.

Au final, les modifications sur l’exploitation auront été radicales : intégration des légumineuses sur l’ensemble de la surface, totalité de la SAU passée en prairies, redécoupage de la surface pour l’adapter au pâturage (zones d’abris, parcours, système de clôtures amovibles, alimentation des parcelles pâturées par un réseau d’eau…).

Mais l’éleveur a engagé progressivement ce bouleversement, en conduisant des essais puis en testant la faisabilité du système durant un an sur un lot de 150 brebis. Il poursuit à présent ses expérimentations pour renforcer le nombre  d’espèces dans ses mélanges, notamment avec l’introduction de chicorée et plantain, sur les critères de productivité hivernale et résistance à la sécheresse en été. Ces espèces se montrent déjà prometteuses.

« Notre métier n’est pas constitué de recettes toutes faites, et nous devons sans cesse expérimenter pour progresser », conclut A. Delpech.

 

*Un système de clôtures innovant et réactif

Le système appliqué chez André Delpech repose sur une méthode de pâturage dite « fil avant-fil arrière » : des parcs ou cellules de pâturage de 30 à 50 ares sont constitués et destinés à accueillir 200 à 300 brebis durant deux jours, afin d’obtenir un chargement optimum pour la quantité d’herbe à consommer. Les brebis avancent ensuite jusqu’à la cellule suivante. Ce système nécessite un système performant de clôtures fixes et mobiles pour limiter le temps de main-d’œuvre. L’exploitation comprend ainsi 30 kilomètres de clôtures qui sont posées et enlevées extrêmement rapidement grâce à un dispositif spécifique (Spider de chez Kiwitech) placé sur le quad. L’élasticité du fil et le matériau fibre de verre utilisé pour les piquets permettent en outre de rouler dessus avec le tracteur pour éviter de longues manipulations d’ouverture et de fermeture. Les cellules de pâturage peuvent ainsi être considérées comme une seule et même parcelle, ce qui simplifie notamment les apports d’azote. Du temps de travail est gagné sur plusieurs tableaux grâce à ce système combiné à la technique de pâturage : en moins de dix minutes, 300 mètres de clôture triple fil sont posés ! Et si les manipulations de clôtures sont plus régulières, elles sont néanmoins mises à profit pour surveiller les animaux. Gain de temps également avec un nombre réduit d’animaux à nourrir en bâtiment, moins d’effluents d’élevage à gérer…

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Published by patre - dans Réflexions agronomiques